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Le roi est mort, vive le roi ! (I) : Blatter allonge la monnaie


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Mercredi 2 Septembre 2009

Paris, 30 mars 1998

Blatter attendit encore deux semaines, hors de vue et de portée de l’artillerie de Johansson, puis choisit Paris, un lundi, pour annoncer que plusieurs fédérations, dont l’Australie, le Brésil, l’Arabie saoudite, la Jamaïque, le Trinité-et-Tobago, les Etats-Unis et la France, l’avaient supplié de se porter candidat. «  Je suis un  serviteur du football et je m’efforcerai de continuer à le servir aussi bien à l’avenir », déclara-t-il à la presse. A ses côtés se tenait Michel Platini, désormais aussi avide de réussite en politique footballistique qu’il l’avait été de buts pour la France et la Juventus. Tout en boucles et en charisme, Platini avait été choisi par Blatter pour occuper un nouveau poste à la FIFA, celui de directeur du sport. Blatter comptait être président tout en restant le chef de l’exécutif.
Platini, qui s’était mis en congé de son travail principal pour s’occuper de l’organisation de la Coupe du monde qui allait débuter d’ici à quelques semaines, déclara à la presse qu’il ne pensait pas que la FIFA était dirigée de manière démocratique et qu’il craignait que rien ne change une fois Johansson élu. Il ajouta : «  je n’ai là-dedans aucun intérêt personnel. Je suis un homme de conviction et si je fais ça, c’est parce que je pense être le seul qui puisse faire changer la FIFA de cap, ayant été moi-même joueur et entraîneur».
Blatter promit d’élargir le comité exécutif. Des sièges seraient réservés aux femmes ! Aux arbitres ! Aux joueurs ! A n’importe qui, pourvu que ça fasse la une ! quand il aurait gagné, il percevrait naturellement un salaire mais celui-ci serait «  transparent », terme qui apparut ici pour la première fois et qui reviendrait souvent dans sa bouche.
Dans la plus parfaite transparence, donc, Blatter allait protéger le football de « l’exploitation par des forces commerciales et politiques ». Un aide de camp afficha sur le site Internet de Blatter : « La réussite et le standing du football dans le monde aujourd’hui peuvent en grande partie être attribués à Joseph Blatter ».
Johansson rassembla ses forces, pressentant une campagne de coups bas, il déclara : « J’ai bien peur que tout ce qu’on a pu entrevoir jusqu’ici ne continue et qu’il ne faille s’attendre à des choses inacceptables d’un point de vue éthique, moral et légal ».
Kigali, 5 avril 1998
 Havelange atterrit au Rwanda, officiellement pour honorer la mémoire du million de personnes massacrées lors du génocide quatre ans plus tôt. Une fois cette formalité accomplie, il en vint aux choses sérieuses. Il s’agissait de prendre à part les délégués des dix-sept fédérations d’Afrique de l’Est et du Centre venus participer aux cérémonies. Le message crucial à faire passer était le suivant : Blatter est l’homme que vous devez soutenir.
De retour à Zurich, il ne perdit pas de temps. Il dicta une lettre à sa secrétaire, Marie-Madeleine Urlacher. Le destinataire : un responsable somalien. « J’aimerais vous dire à quel point j’ai été heureux de vous voir à Kigali, où vous m’avez exposé le point de vue de votre fédération… ». Il poursuivait en déclarant qu’il se réjouissait d’accueillir bientôt deux délégués somaliens lors du prochain congrès à Paris : pour l’un, le voyage était financé par la FIFA, « et l’autre, comme je vous l’ai promis, sera de ma responsabilité,  tout comme ses frais d’hébergement ». Le football en Afrique de l’Est lui tenait tant à cœur que, «en ce qui concerne votre fédération nationale, j’ai rencontré le secrétaire général adjoint de la FIFA, Michel Zen-Ruffinen, pour lui parler de votre développement ». Il promit des séminaires techniques pour les arbitres, les médecins et les administrateurs. Et des billets d’avion pour deux heureux officiels qui se rendraient au Brésil pour suivre d’autres formations.
Coïncidence, les postiers et les coursiers à Nairobi, à Khartoum et à Kampala se retrouvèrent soudain surchargés de cadeaux pour les décideurs footballistiques de la région, envoyés, avec l’expression de ses sentiments les plus chaleureux, par leur cher ami Joao. Des télécopieurs et des photocopieuses furent emballés et envoyés dans des bureaux un peu partout en Afrique. Tous les pays représentés à Kigali reçurent un paquet. Au cas où cela ne suffirait pas à faire basculer les voix de la région, Havelange ordonna au directeur financier Erwin Schmid d’envoyer à un responsable régional un chèque de 50.000 dollars. Tout ce dont Erwin avait besoin était le nom du récipiendaire et le numéro de son compte bancaire. Havelange ne se donna même pas la peine de demander l’approbation de sa commission des finances. Pour quoi faire ? C’était lui le président.
Une autre lettre fut envoyée à la formidable famille Fok, à Hong Kong. Elle était adressée au milliardaire Timothy, président de la fédération de football locale, un homme jouissant d’une grande influence dans le sport asiatique et sur le point de rejoindre le comité olympique international. Son père, Henry, qui avait acquis une partie de sa fortune dans le jeu à Macao, devait recevoir l’ordre du mérite de la FIFA à Paris. « Monsieur le président Fok, mon cher Timothy, roucoula le président de la FIFA, je viens vous demander votre soutien pour M. Blatter ». Timothy pouvait-il obtenir les voix de Hong Kong, Macao, de la Chine et de la Corée du Nord ? Havelange était particulièrement préoccupé, car il savait que Johansson était, au même moment, en train de faire du lobbying en Chine. Or les fabuleux Fok, qui avaient d’excellentes relations à Pékin, étaient son meilleur espoir de lui couper l’herbe sous le pied.
Dublin, 30 avril 1998
Havelange était dans le camp ennemi. La saison des congrès continentaux avait commencé et les Européens s’étaient réunis au Jury Hotel. La journée fut consacrée à faire du battage pour Johansson. Blatter, le candidat rival, ne s’était pas déplacé. Ce n’était ni le moment ni le lieu pour tenter de diviser l’Europe. Havelange était  assis au premier rang de l’amphithéâtre, maussade, observant la scène brillamment éclairée où l’on célébrait Lennart Johansson, l’homme qu’ils espéraient voir prendre sa place dans six semaines  au sommet du football mondial. Les hommages succédaient aux hommages.
Enfin on appela Havelange sur l’estrade, et un officiel de l’UEFA accrocha la broche en diamant de l’ordre du mérite au revers de son veston. On déclara qu’il lui était décerné pour services rendus au football, mais en vérité, il s’agissait d’un cadeau d’adieu auquel ne manquait que la mention « Bon vent et bon débarras ».


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